Témoin attentif et engagé de l’histoire du XXème siècle, Joris Ivens n’a cessé de parcourir le monde caméra au poing pour y dénoncer la misère, l’injustice sociale, (Borinage, Belgique, 1933), la colonisation (L’Indonésie appelle, Australie 1946), mais aussi pour y montrer le courage des hommes, aux prises avec la Nature ( Zuidersee, Pays Bas,1930), se battant pour la démocratie (Terre d’Espagne, Espagne 1937), résistant à l’envahisseur ( 400 millions, Chine, 1938), subissant avec dignité les méfaits de la guerre ( 17ème parallèle, Vietnam 1967).
Artiste généreux et idéaliste, Joris Ivens n’a cessé d’affirmer ce en quoi il croyait : l’avènement d’un monde meilleur que laissaient espérer les progrès technologiques, les mouvements ouvriers et les régimes socialistes naissants tant européens ( Les premières Années, Tchécoslovaquie, Pologne, Bulgarie, 1947), le Chant des fleuves RDA, 1954) que sud américains (Le Peuple armé, Cuba 1961, Le train de la Victoire, Chili , 1962) et chinois (Comment Yukong déplaça les montagnes, Chine 1971-75).
Cinéaste maîtrisant aussi bien la réalisation, la co-réalisation que la prise de vue et le montage, Ivens a su mieux que quiconque partager les propos, les images et les sons avec ses collaborateurs, notamment avec Marceline Loridan-Ivens, co-réalisatrice de « 17ème Parallèle », de « Comment Yukonk déplaça les montagnes » et d’ »Une Histoire de Vent ». Il sut même répondre aux « commandes » sans jamais se renier, renoncer à la mise en valeur du travail, des luttes et des espoirs des habitants les plus humbles de la planète ( Creosote Pays-Bas 1931), (Philips Radio ou La Symphonie Industrielle, Pays-Bas, 1932) (Komsomol ou le Chant des Héros, URSS, 1932), l’Electrification de la Terre, USA, 1939-40), ( Demain à Nanguila Mali, 1960).
Cependant, lorsqu’il naît le 18 novembre 1898 à Nimègue, ville située près de la frontière allemande, au bord du Wall, l’un des bras du Rhin, rien ne semble prédisposer Joris Ivens à devenir l’un des deux plus grands documentaristes du XXème siècle avec l’Américain Robert Flaherty. Son père possède un magasin d’appareils photographiques qui deviendra peu à peu une importante société de vente d’appareils et de produits photographiques : la CAPI (Cornelius, Adrian, Peter Ivens, initiales du nom de son fondateur)
Après une enfance et une adolescence heureuses, marquées par le catholicisme de sa mère et la découverte de la pratique cinématographique – à treize ans Joris tourne son premier film : « De wigwam » (La hutte) avec toute la famille déguisée en Indiens – Joris suit les cours de l’Ecole Supérieure d’Economie de Rotterdam, interrompues un temps par son service militaire.
Entre 1922 et 1925, il séjourne, en Allemagne. Étudiant en pétrochimie, il découvre avec enthousiasme la vie intellectuelle et artistique de Berlin. Il y mesure aussi l’importance de la Révolution Russe de 1917, celle des idées communistes face à la montée de la violence et de la répression policière du Berlin des années 20.
De Berlin, il se rend à Dresde et à Iéna où il effectue des stages dans les usines Ica et Ernemann.
De retour aux Pays-Bas, se sentant de moins en moins directeur technique de la CAPI et de plus en plus cinéaste, Joris organise une projection privée du film « La Mère » du cinéaste soviétique Poudovkine. Après avoir analysé le film plan par plan, le cadrage et le rythme du montage, il produit une étude qu’il traduit par une série de croquis et de graphismes.
Joris Ivens participe alors très activement au manifeste de la « Filmliga » d’Amsterdam qui exprime la volonté d’artistes, d’intellectuels, d’étudiants de « réformer le goût du public », c’est-à-dire de « libérer le cinéma de la forme mélodramatique traditionnelle et commerciale pour affirmer la valeur esthétique du cinéma et développer un nouveau moyen d’expression capable de produire des œuvres art ».
Et c’est, tout imprégné de la théorie du « Ciné-œil » de Tziga Vertov mais aussi des films programmés par la « Filmliga » tels « La Grève » d’Eisenstein ou « Nanouk » de Robert Flaherty, que Joris Ivens expérimente les possibilités de sa caméra Kinamo, lors d’un voyage à Paris où il tourne » Etudes de mouvements « .
De retour aux Pays-Bas, il réalise entre 1928 et 1929 » le Pont « , dans lequel il assure la prise de vue et le montage, inventant sa propre écriture cinématographique, » Les Brisants » dont la pathétique fiction lui permet de mettre en scène la mer du nord et ses rouleaux et » la Pluie » qu’il regarde, met en scène pendant trois mois dans les rues d’Amsterdam.(photo coll. Filmmuseum)
Claude Brunel.