C – du Collectif jeune cinéma et du lycée Paul Valéry à la FEMIS.

Ma nomination en 1977, au Lycée Paul Valéry dans le XIIème arrondissement de Paris devait me permettre, d’une part de m’engager encore plus activement dans la diffusion du Cinéma Différent, le fonctionnement du CJC, l’édition d’un nouveau catalogue des films et la revue Cinéma Différent, et d’autre part d’introduire au lycée Paul Valéry, avec l’aide de Jean-Paul Dupuis, une pratique cinématographique artisanale qui allait déboucher, quelques années plus tard, sur la création de la section Cinéma et Audiovisuel.

Le premier film réalisé par les élèves du Lycée Paul Valery fut un documentaire sur le Paris de la Renaissance, dans le cadre du 10 % pédagogique mise en place dans l’enseignement secondaire en 1973 et qui, depuis 1979, donnait aux enseignants la possibilité de mener à bien des projets d’Action Culturelle et Educative (les PACTE) appelés à partir de 1981, PAE (Projets d’Action Educative). La question préalable était pour le professeur de musique que j’étais: " Comment faire écouter et apprécier à des élèves de classe de quatrième la musique de la Renaissance" (inscrite officiellement au programme de musique).
La réponse fut: "En leur faisant découvrir, regarder, filmer" (en super huit) ce qui demeurait inscrit de cette époque dans Paris et ses alentours : la façade Renaissance et la cour carrée du Louvre, la Fontaine des Innocents, mais aussi le château de François 1er à Fontainebleau et bien sûr les œuvres des peintres exposées au Louvre et en leur faisant associer, à travers la création de la bande son, la musique d’un Clément Janequin ou d’un Ockeghem à la poésie d’un Ronsard ou d’un Du Bellay – et ceci en collaboration avec les professeurs d’Histoire, de Français, d’Arts Plastiques et l’aide du cinéaste Jean-Paul Dupuis.
Et c’est naturellement que ces élèves de classe de quatrième devaient non seulement s’intéresser à la musique du XVIème siècle, à son contexte historique, architectural, sculptural et pictural, mais encore découvrir, comprendre, par la pratique du cinéma ce qu’était la réalisation d’un film documentaire, de l’idée au tournage, du tournage au montage, à la création d’une bande image et d’une bande son signifiantes et complémentaires.
Ces élèves qui avaient goûté au plaisir de la réalisation allaient devenir, jusqu’en classe de Terminale, des membres assidus du club-caméra et du ciné-club. Ils avaient vite compris, l’importance de la qualité de la prise de vue, celles du cadrage, des mouvements de caméra, de la dimension des plans, et l’importance du montage pour que passe auprès de leurs camarades et professeurs spectateurs leurs idées, leur message. La fête de fin d’année du Foyer Socio-éducatif du lycée était leur "grand moment".
C’est ainsi qu’ils eurent la joie de montrer à Léopold Senghor, l’invité de la Fête de 1983, placée sous le signe de la Francophonie, le film qu’ils avaient réalisé à partir de l’œuvre du poète et de photos que j’avais glanées dans différentes ambassades africaines, ceci, grâce à l’aide du Secrétaire Général du Haut-Comité de la Langue Française : Stelio Farandjis.
Les élèves du club-caméra déployaient aussi beaucoup d’énergie pour convaincre leurs camarades de venir voir des "grands films que la Télévision ne montrait pas".

Hélas! ce furent peu à peu la télévision et les cassettes vidéo qui l’emportèrent. Bientôt, la salle du ciné-club ne fut plus fréquentée régulièrement que par une minorité d’élèves et d’adultes cinéphiles, et, de temps en temps, par des classes dont les professeurs de lettres ou d’histoire/géographie utilisaient le cinéma et l’audiovisuel comme outil pédagogique.

Tandis que le Lycée se dotait de postes de télévision et de magnétoscopes, le ciné-club, dont la location des films était permise à la fois par l’argent alloué par le Foyer socio-éducatif du lycée et les "entrées" (au tarif bien modeste), dû arrêter ses "projections du vendredi". Cependant, grâce à des accords passés avec des salles Art et Essai du XIIème et du Vème arrondissement de Paris et au bon fonctionnement du "10 % pédagogique au lycée Paul Valery", toutes les classes de musique eurent le plaisir de voir en salle et d’analyser  Amadeus, Don Juan ou Carmen

Avec la création de la Mission d’Action Culturelle (MAC) au sein du ministère de l’Education Nationale en 1977, celle de la Direction du développement Culturel au Centre National du Cinéma (DDC) en 1982 s’amorçait, se développait une véritable collaboration entre les acteurs de l’Education - les enseignants toutes disciplines et ceux de la Culture, les intervenants culturels - musiciens, plasticiens, cinéastes
C’est alors que je fus nommée à mi- temps Secrétaire de la Commission Académique d’Action Culturelle du Rectorat de Paris, plus spécialement chargée de la Musique, du Cinéma et de l’Audiovisuel. Cette fonction me mettant en relation avec l’Opéra de Paris au moment où se créait l’opéra Bastille et s’affichait la volonté de faire de ce lieu un "opéra populaire" me permit de concevoir, de mettre en œuvre, en accord avec les artistes qui renonçaient à leurs droits face à un projet d’éducation et de diffusion non-commerciale, la série de vidéo cassettes pédagogiques A propos de … .

Chaque document, conçu pour les élèves de l’enseignement secondaire, les étudiants et les Jeunesses Musicales de France (J M F), permettait de suivre la création à l’Opéra de Paris d’une grande œuvre du répertoire. De la première répétition jusqu’à la Générale nous enregistrions, avec une équipe légère de professionnels de l’image et du son, le travail des chanteurs, celui des instrumentistes, du chef d’orchestre, du metteur en scène, éventuellement du chorégraphe. Nous entremêlions interviews des artistes, histoire et analyse de l’œuvre… La phase finale du montage ayant lieu au lendemain de la Générale, la production et la diffusion des cassettes en direction des établissements scolaires se faisant très rapidement, permettaient aux lycéens et étudiants de regarder la cassette avant d’assister à l’une des représentations.
Co-produit par Le Théâtre National de l ‘Opéra, les ministères de l’Education Nationale et de la Culture, la Vidéothèque de Paris, La Maison de l’Audiovisuel (créée en janvier 1982) avec le soutien de la Société Générale, la série dû être interrompue, après la réalisation de cinq documents, dont «à propos de Tristan Und Isolde» de Richard Wagner, «Wozzeck» d’Alban Berg, «Casse-Noisette» de Tchaïkowski… faute de reconduction des financements.

Avec le Protocole d’accord signé le 25 Avril 1983 entre Jack Lang Ministre de la Culture et Alain Savary, Ministre de l’Education Nationale se renforçait, s’ institutionnalisait la collaboration entre les deux ministères dans le domaine notamment des ateliers de pratique artistique Arts plastiques, Théâtre et Cinéma et Audiovisuel.
À la rentrée scolaire de 1984 était créée à titre expérimental dans 14 lycées, dont le Lycée Paul Valéry, une « option cinéma et audiovisuel », facultative en classe de seconde. Les textes officiels de février 1984, précisaient que cette expérimentation devrait être guidée par des principes à la fois pédagogiques et artistiques, s’appuyer sur la transmission d’une culture cinématographique et un aperçu de la pratique du cinéma. Les textes stipulaient que l’enseignement hebdomadaire de trois heures concernerait 16 élèves et serait assuré conjointement par une équipe d’enseignants toutes disciplines et par un intervenant culturel agréé par le Centre National du Cinéma. Des mesures financières accompagnaient cette décision: chaque option se voyait dotée de trois heures d’enseignement et de 10 000 francs par le ministère de l’Education Nationale, de 20 000 francs par le Centre National du Cinéma (Ministère de la Culture).
Dès la parution des textes officiels, s’était constituée, dans l’enthousiasme, l’équipe pédagogique du lycée Paul Valéry composée d’enseignants, tous cinéphiles (Anne-Marie Roux, professeur agrégé de lettres, Marie-Claude Hautecoeur, professeur agrégé d’ histoire et géographie, Isabelle Chapron, professeur d’Anglais inscrite en maîtrise de cinéma, Michel Adam, conseiller d’Education, inscrit en maîtrise de cinéma, Bruno Alcala , surveillant d’externat, inscrit en maîtrise d’esthétique, de Jean-Paul Dupuis, cinéaste intervenant et de moi-même, professeur certifié d’éducation musicale, coordinateur de «l’équipe cinéma» .
Le projet déposé au mois de février 1984, adopté au mois de Juin fit l’objet d’un courrier d’information spécifique en direction des futurs élèves de seconde.
Après avoir participé au stage de Toulouse le Mirail «Cultures Cinématographiques et Langages Audiovisuels», organisé dans le cadre de l’université d’Eté de Juillet 1984, nous démarrions l’option de Paul Valéry avec 16 élèves sélectionnés sur 36 candidats retenus parmi les 50 inscrits.
Ayant pour mission d’inventer un nouvel enseignement artistique dont les textes officiels demandaient qu’il s’appuie à la fois sur «la transmission d’une culture cinématographique et un aperçu de la pratique du cinéma», nous mîmes au point un enseignement basé, à part égale, sur la pratique de l’image et du son, l’acquisition des rudiments de l’écriture cinématographique (notion de plan, de cadrage, d’éclairages, de montages), et l’analyse de quelques grandes œuvres cinématographiques, allant des films d’art des années 30 (par exemple:  » le Ballet mécanique » de Fernand Léger ) à ceux des années 80 (par exemple:  » la Femme qui se poudre » de Patrick Bokanowsky) en passant par quelques grands films narratifs, par exemple, « M Le Maudit » de Fritz Lang, « la Règle du jeu » de Jean Renoir ou « Citizen Kane » d’Orson Welles.

Nous tenions compte à la fois du désir de connaître et « de faire » des élèves, de notre pratique de réalisation d’un cinéma plus proche du cinéma documentaire et du « cinéma différent/expérimental » que du cinéma de fiction. Nous nous référions à l’enseignement de la musique et des arts plastiques qui associaient naturellement la pratique artistique (le chant, la flûte, le dessin, la peinture) à la connaissance des œuvres et des auteurs.
Enfin, nous utilisions les moyens en locaux et en matériels qu’offrait le lycée Paul Valéry (salle de projections 16 mm et salle « vidéo » équipée de postes de télévision et de magnétoscope, projecteur super 8, postes de télévision et magnétoscope portables, appareils photos, caméra super8, caméra vidéo, visionneuses) et ce que mettait à la disposition de l’option, le Collectif Jeune Cinéma (caméras, visionneuses, projecteurs super 8 et 16 mm, table de montage 16mm). L’année d’expérimentation en classe de seconde devait permettre à l’équipe de mettre au point sa pédagogie, basée sur la dialectique, pratique-analyse, de se former au maniement des outils, et de concevoir ce que deviendrait l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel en classe de première, puis en classe de Terminale, si les ministères de tutelle décidaient de poursuivre l’opération.

Ce qui fut fait.

Quant aux élèves, tout aussi enthousiastes et passionnés que leurs professeurs et intervenant, ils déclaraient :
« Venir à l’option par intérêt et continuer jusqu’en terminale, même si ça ne comptait pas pour le bac »
« Ne pas attendre de l’option qu’elle les prépare déjà à la vie professionnelle, mais quelle leur permette de «mieux lire l’image, de mieux comprendre ce qui se passe derrière la caméra »…
« Vouloir apprendre à se servir d’une caméra et à s’exprimer à travers l’audiovisuel, à faire « même » un film à plusieurs »
« Vouloir apprendre tout ce qui concerne le cinéma, leur art préféré ».
Ils déclaraient aussi qu’ils aimaient tous l’option, « un cours pas comme les autres, un cours où l’on peut discuter, échanger avec les professeurs, un cours où la présence de l’intervenant leur semblait « déterminante » lui qui leur montrait et enseignait que « le montage était la seule façon d’écrire le cinéma ».
La « production » des élèves, répartis en quatre équipes de réalisation fut révélatrice de leur enthousiasme et du sérieux de leur investissement – 4 films documentaire sur Paris en super 8, – 5 films réalisés à partir du poème de Baudelaire « Le Miroir » en super 8, – 4 reportages vidéo : dont l’un sur « la semaine de l’Education » organisée au Lycée Henri IV, les répétitions du club théâtre du lycée et le festival du théâtre scolaire, la fête de fin d’année du lycée…  À ces réalisations s’ajoutaient les nombreux exercices d’apprentissage du tournage et du montage encadrés, commentés et corrigés par Jean-Paul Dupuis.

L’année de l’ouverture de Option Cinéma et Audiovisuel suivie de près par le Centre National du Cinéma et notamment par Jack Gajos, valut au Lycée Paul Valéry la visite du ministre de la Culture Jack Lang, et fit l’objet de nombreux reportages dont ceux de FR3, Les Cahiers du Cinéma, le Journal de l’Etudiant, France Culture…

Devant la réussite des 14 premières options, l’expérimentation se poursuit en 1985 avec l’ouverture de la classe de première et celle de 7 autres classes de seconde puis, en 1986, avec celle des classes de Terminale.

A la rentrée scolaire de 1985, au moment où Jack Gajos est chargé par Jack Lang de la création de l’INIS ( Institut National de l’Image et du Son) qui deviendra en 1986 la FEMIS ( Fondation Européenne des Métiers de l’Image et du Son, appelé administrativement aujourd’hui : l’ Ecole Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son), je suis mise à disposition par le Ministère de l’Education Nationale au Ministère de la Culture pour y assurer les relations entre la FEMIS , le Ministère de l’Education Nationale, les universités, et à ce titre, participer aux travaux d’un « groupe de pilotage » interministériel qui s’appellera bientôt COSEAC (Commission interministérielle d’Orientation et de Suivi de l’Enseignement de l’ Audiovisuel et du Cinéma).

La COSEAC, présidée par Pierre Baqué, Conseiller pour les enseignements artistiques auprès de la DLC (Direction des Lycées et Collèges) et par un représentant de Dominique Wallon, Directeur Général du CNC, est composée de représentants institutionnels, de professeurs de l’enseignement supérieur et secondaire, d’intervenants professionnels de la FEMIS, de partenaires culturels.

Elle est chargée, entre autres, de la conception des programmes et des épreuves du baccalauréat Cinéma et Audiovisuel ainsi que du plan de formation des enseignants et partenaires culturels des futures sections Cinéma et Audiovisuel des Lycées. L’expérimentation réussie du lycée Paul Valéry, le soutien des professionnels de la FEMIS ainsi que celui de mes collègues de l’Université de Paris III Sorbonne Nouvelle où j’enseigne désormais, me permettent de convaincre les membres de la COSEAC de proposer un enseignements du Cinéma et de l’Audiovisuel ainsi que des épreuves au baccalauréat s’appuyant à la fois sur la pratique cinématographique (réalisation de préférence d’un court film documentaire écriture du scénario, tournage, montage), la présentation et l’analyse de trois œuvres cinématographiques.

Le 24 février 1986, lors du Symposium National sur l’enseignement du Cinéma et de l’Audiovisuel « Enseignement, création et Formation », co-organisé par les Rencontres audiovisuelles CNDP-INRP (Centre National de Documentation Pédagogique -Institut National de Recherche Pédagogique) et la FEMIS, le Ministre de l’Education Nationale, Jean Pierre Chevènement, annonce:

- l’institutionnalisation des options Cinéma et Audiovisuel qui deviennent des sections intégrées à la filière A3 littéraire et artistique.

- La création d’un baccalauréat A3, littéraire et artistique avec option cinéma et audiovisuel, dont la première session se déroulera en 1989.

- La création d’une licence et d’une maîtrise d’études cinématographique et audiovisuelle nationales.

Le Ministre définit, le contenu, les objectifs et les caractéristiques de ce nouvel enseignement:

- Cinéma et Audiovisuel doit être considéré comme un objet d’étude et un outil pédagogique.

- Il participe, comme toutes les autres disciplines au développement de l’intelligence et de la sensibilité, contribue à la formation du jugement et de l’esprit critique, prépare l’individu à sa vie professionnelle et de citoyen.

- Ce nouvel enseignement comporte l’apprentissage du langage, la lecture et l’écriture de l’Image et du Son, ce qui implique la manipulation des outils, l’initiation aux techniques, et débouche sur la maîtrise d’un nouveau moyen d’expression, de communication et de création.

Le ministre précise que:

- L’enseignement du Cinéma et de l’Audiovisuel vise également à transmettre une culture cinématographique et télévisuelle en relation avec toutes les autres composantes de la culture.

- L’intégration de l’audiovisuel dans le système éducatif ne saurait se faire sans la prise en compte de l’environnement audiovisuel, de son influence sur les comportements et l’évolution des enfants et des adolescents, de la réalité d’un acquis transmis pat la Télévision et le Cinéma, en dehors de l’Ecole.

L’introduction de ce nouvel enseignement suppose des moyens financiers nécessaires permettant: l’équipement des établissements scolaires, la formation des enseignants. L’université doit jouer un rôle prépondérant dans la formation culturelle et théorique des étudiants , et à priori, des futurs enseignants dans les domaine du Cinéma et de l’audiovisuel.

Cet enseignement doit se faire à travers la mise en place et le développement d’unités de valeurs intégrées dans des filières non spécifiques (par exemple en langues vivantes ou en arts plastiques), dans des filières du 1er cycle conduisant aux DEUG Cinéma et Audiovisuel, Communication à forte dominante théorique ou à des DEUST à dominante plus technique et pratique que théorique ainsi que par la création de la licence et de la maîtrise de cinéma dans le second cycle des universités habilitées à dispenser cet enseignement.

Entre le mois de février et juillet 1987 paraissent successivement au Bulletin Officiel, les programmes des classes de Seconde, de Première et de Terminale des lycées ainsi que celui des épreuves de Cinéma et audiovisuel du baccalauréat de l’enseignement du second degré. En Juillet 1989, se déroule le premier baccalauréat A3, Cinéma et audiovisuel, premier diplôme européen sanctionnant les études secondaires intégrant une épreuve « Cinéma et l’Audiovisuel »