Joris Ivens - les années 60

En 1960 il est en Afrique où il relate dans  » Demain à Nanguila « , film mi-documentaire mi-fiction, la vie quotidienne et la prise de conscience politique des habitants d’un petit village du Mali. En 1961, venu à la Havane pour faire une série de conférence à l’I.C.A.I.C. (Institut Cubain de l’Art et de l’Industrie Cinématographique), Ivens découvre et soutient avec Carnet de Voyage et Peuple armé, la révolution que conduit Fidel Castro… En 1962, invité par l’université de Santiago, il se rend au Chili où il réalise  » Valparaiso « , dans lequel il montre la pauvreté des habitants de ses 42 collines mais aussi la beauté de ce port mythique. À Valparaiso, Ivens filme aussi la joie des enfants assistant à un spectacle de cirque : Le Petit chapiteau et l’espoir de la victoire d’Allende dans le » Train de la Victoire ». En 1964, grâce à la persévérance du Directeur du Filmmuseum d’Amsterdam, Jan de Vaal, et de Tineke de Vaal, Joris Ivens revient aux Pays-Bas pour y présenter une rétrospective de ses œuvres. Les étudiants de l’Académie du Cinéma lui réservent un accueil enthousiaste.

L’année suivante, avec  » Pour le Mistral « , c’est le célèbre vent du Midi de la France, que Joris Ivens met en scène. Avec ce vent unique au monde, et malgré un projet qu’Ivens juge non achevé, s’affirment avec magnificence la lumière, les ciels et les nuages de Provence, se montrent aussi les rapports complexes que les hommes entretiennent avec lui. 1965 est aussi l’année d’un nouvel engagement politique pour Ivens : « Le Ciel, La Terre » révèle son admiration pour le peuple du Nord-Vietnam, qui malgré les bombardements de l’envahisseur américain continue à affirmer son goût pour la vie.

Ivens réaffirme son soutien au Nord-Vietnam avec  » Loin du Vietnam » (1967), film collectif qui rassemble à ses côtés Marceline Loridan, Jean-Luc Godard, Claude Lelouch, Chris Marker, Agnès Varda, William Klein et  » 17ème Parallèle  » (1967) qu’il co-réalise avec Marceline Loridan. De  » 17ème Parallèle », le grand journaliste du Nouvel Observateur Jean Louis Bory écrira : « Le 17ème parallèle n’est pas un film de guerre, c’est un film sur des paysans obligés à la guerre. Pilonnés par l’artillerie lourde, par l’artillerie de marine, par l’aviation, ils ne bougent pas, ils s’enterrent …Document d’une extrême importance  » 17éme Parallèle  » trace le portrait de la guerre moderne : celle, déconcertante, qui permet à un petit pays de résister à l’extraordinaire effort militaire du plus puissant pays du monde, parce que c’est le peuple qui s’y bat pour sa vie et sa liberté ». Premier film d’Ivens tourné en 16 millimètres et en son synchrone, document d’un réalisme dramatique et engagé, mais aussi empreint de tendresse et de poésie,  » 17ème Parallèle  » demeure l’un des film d’Ivens les plus accompli et les plus révélateur de sa démarche : celle d’un cinéaste et d’un artiste qui, quels que soient les motivations des politiques et les retournements de l’Histoire, aura partagé, mis en mémoire, tout au long du XXèmé siècle, les luttes et les espoirs des peuples.

Entre  » Le Ciel, la Terre et Loin du Vietnam « , Joris Ivens est retourné aux Pays-Bas pour y filmer, à la demande de la ville de Rotterdam, la vie et le travail du plus grand port d’Europe. « Rotterdam Europort  » (1966) est un film documentaire dans lequel vient s’insérer la légende du célèbre Hollandais volant qui retrouve son pays après quatre siècles de vagabondage sur les mers et auquel la presse hollandaise compare Ivens.

« Rotterdam Europort » marque aussi le début de la vie commune et de la collaboration entre Joris Ivens et Marceline Loridan : Collaboration qui ne cessera de se renforcer jusqu’à la mort de Joris, en 1989, et se poursuivra bien au-delà, au travers, notamment, de la création de la  » Fondation Joris Ivens « . Après  » Le Peuple et ses fusils  » réalisé au Laos avec Marceline Loridan et Jean Pierre Sergent, les dernières œuvres de Joris Ivens seront consacrées à la Chine : la Chine de la révolution culturelle que Joris Ivens et Marceline Loridan feront connaître au monde entier dans  » Comment Yukong déplaça les montagnes  » (1971-75), la Chine millénaire et mythique retrouvée, dans  » Une Histoire de Vent  » (1988).

À eux seuls ces deux films, qui ouvraient et fermaient l’hommage rendu par la Cinémathèque Française en 2009, témoignent de ce que fut et demeure Joris Ivens : un homme et un cinéaste dont l’art, comme le disait Henri Langlois en 1957, « se qualifie en trois mots: l’amour des autres…un grand cinéaste qui toute sa vie n’a cessé de vouloir embrasser l’humanité tout entière. Cette profonde humanité qui fait la fraîcheur et la jeunesse éternelles d’Ivens, cette vocation fraternelle qui l’entraîne à travers le monde pour se mettre au service de l’Homme l’aider à se faire entendre, à exposer ses problèmes, à chercher leurs solutions. Voilà ce qui caractérise l’unité de l’oeuvre et la vie d’Ivens ».(photo coll. Filmmuseum)

Claude Brunel.